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Au faîte de la gloire : un coup d’œil aux toitures remarquables de bâtiments patrimoniaux

Jetez un coup d'œil aux toitures des immeubles de votre ville et vous serez peut-être étonné par la diversité des formes et des matériaux utilisés. Aux premières heures du Canada, les colons utilisaient ce qu'ils pouvaient trouver et adaptaient les méthodes de construction traditionnelles européennes aux conditions locales. Les toits en planches et en bardeaux de fente sont cependant bientôt remplacés par des formes plus complexes, comme le toit à pentes très inclinées caractéristique du style colonial français en vogue au Québec, ou encore celui à comble brisé avec corniche évasée prisé par les colons hollandais. Avec les migrations vers les plaines de l'Ouest, où le bois et la pierre se font plus rares, les premiers colons se tournent plus souvent vers la terre pour recouvrir les murs et le toit de leur maison familiale. Clock Tower, Parks Canada 2003 / L'Horloge de la ville, Parcs Canada 2003

À partir de 1750, les colonies canadiennes commencent à adopter les tendances culturelles et architecturales européennes, notamment le palladianisme, qui est appliqué essentiellement aux édifices publics et qui donne des lignes de toiture intéressantes. La splendide tour de l'horloge (construite originellement en 1803) sur le glacis gazonné de la Citadelle d'Halifax, en Nouvelle-Écosse, est un repère qui témoigne de cette tendance. Dans le plus pur style palladien, sur un socle rectangulaire d'un d'étage repose une tour d'horloge de trois étages dotée d'une colonnade circulaire supportant l'étage octogonal de l'horloge, peinte en bleu avec aiguilles et chiffres en cuivre, qui à son tour porte un autre étage octogonal à arcades surmonté d'un dôme et d'une boule en cuivre. Les visiteurs en provenance de Grande-Bretagne savent sûrement reconnaître ce style familier.

Le fer blanc est aussi un matériau souvent utilisé sur les toitures des églises du Québec; les toits et les flèches recouverts de peinture argentée qui existent encore aujourd'hui sont très attrayants. Les ingénieurs militaires anglais se sont aussi intéressés aux propriétés ignifuges du métal comme matériau de couverture. On n'a qu'à  penser à la tour Martello du fort Frederick (1846), construction massive en pierre, avec son toit à facettes adapté au climat canadien, qui consiste en une charpente de bois recouverte de métal, afin de protéger la structure en cas de bombardement.

Outre son côté évidemment pratique, la toiture peut aussi être porteuse de signification symbolique. Le toit du temple Sharon (1825-32) est surmonté d'une sphère dorée qui représente l'unité et la paix, tandis que les douze lanterneaux disposés en bordure du toit symbolisent la lumière divine et les douze apôtres. Les trois étages du bâtiment évoquent la Sainte Trinité.

Vers le milieu du XIXe siècle, de nombreux styles néo-européens font leur apparition dans les colonies canadiennes. Certains toits sont tellement chargés de détails éclectiques qu'il devient difficile de reconnaître une influence particulière. De grands bâtiments privés, des églises et des édifices gouvernementaux arborent des motifs exubérants, souvent en proportions verticales, avec éléments décoratifs audacieux, maçonnerie multicolore et ardoise colorée.

Le style néo-gothique de la grande époque victorienne témoigne bien de cette tendance pour la variété et la liberté de forme. Les bâtiments construits à cette époque présentent souvent un profil irrégulier, avec des lignes de toiture ponctuées de nombreuses lucarnes, faîteaux, crêtes de fer décoratives et cheminées. Ce style est lié à l'émergence du Canada en tant que jeune nation et se distingue résolument du style néo-classique caractéristique des édifices gouvernementaux américains. Son expression la plus achevée se trouve dans le bâtiment du Canada University College à Toronto (1856-1859) et dans les premiers édifices du Parlement de Fuller et Jones (1859-1876) à Ottawa, qui ont été partiellement détruits dans l'incendie de 1916. Les deux présentent des motifs décoratifs sur leur toiture en ardoise, notamment les édifices du Parlement avec leurs bandes en ardoise vert et jaune.

La Bibliothèque du Parlement, qui a survécu à un grave incendie, a conservé ses flèches et ses arcs-boutants, mais ses ardoises décoratives ont plus tard été remplacées par une couverture en cuivre. Inspiré des salles capitulaires médiévales, cet intéressant bâtiment, dont la ligne de toit polygonal complexe est coiffée d'une crête en fer décorative, se distingue des autres immeubles de la Colline parlementaire.

Craigdarroch, Parks Canada 1994 / Craigdarroch, Parcs Canada 1994La popularité de la toiture en ardoise atteint son apogée à la fin des années 1880, époque de la construction de Craigdarroch à Victoria, en C.-B. Cette opulente résidence témoigne de la richesse et du statut de son propriétaire en évoquant un château écossais, avec ses murs extérieurs, son avant-toit, son cordon de fronton et ses magnifiques cheminées en grès, dont le gris contraste avec l'ardoise rouge de la surface du toit, et la terre cuite de la ligne de couronnement et des tuiles de croupe. C'est aussi à cette époque que le ministère des Travaux publics commence à prôner l'usage de la tôle et du cuivre galvanisés pour la couverture des édifices gouvernementaux. Avec la chute des prix du cuivre, ce métal déloge graduellement l'ardoise, notamment en façade de l'édifice du Centre en 1890 ainsi que sur le nouvel édifice Langevin (1888-1890), tous deux situés à Ottawa.

Les lignes de toiture peuvent aussi exprimer différents liens culturels et sociaux. À Montréal, par exemple, la cathédrale néo-baroque Marie-Reine-du-Monde (1870-1878) s'inspire de la basilique Saint-Pierre de Rome avec sa ligne de toit impressionnante. La toiture en cuivre oxydé du dôme de 77 mètres de hauteur domine la façade peuplée de 13 statues. Cette référence sans équivoque à RomeUkrainian Catholic Church, Govt of Manitoba Historic Resources Branch 2005 / Église catholique ukrainienne, gouvt de Manitoba, Direction de ressources historiques témoigne d'un soutien à l'autorité papale. Le style baroque de l'édifice marque une rupture avec l'architecture néo-gothique de l'époque victorienne à la fois des églises catholiques et protestantes de Montréal à cette époque, et permet de la distinguer parmi ces autres temples de confessions chrétiennes.

Le profil distinctif de l'église ukrainienne catholique Immaculate Conception (1930-1938) domine le plat paysage de Springfield, au Manitoba, et rappelle aux croyants sa vocation de lieu de culte. Construit dans le « style des cathédrales des Prairies », le bâtiment affiche l'une des lignes de toit les plus riches et flamboyantes au Canada. On y voit neuf dômes de formes et de tailles variées qui se disputent un volume disposé en gradins d'influence byzantine.

Chinese Public School, City of Victoria 2005 / Ecole publique chinoise, ville de Victoria 2005L'édifice de la Chinese Consolidated Benevolent Association and Chinese Public School (1909) situé à Victoria, en C.‑B., fait directement référence à ses racines culturelles par l'éclectisme de ses détails architecturaux et le caractère résolument chinois de sa ligne de toit et de sa tour en pagode. Ce bâtiment autoportant de deux étages et demi se trouve dans le quartier chinois de la ville, l'un des plus anciens en Amérique du Nord. Il se distingue par certains éléments de conception architecturale qui en font un ouvrage unique en son genre. Le chantournage trilobé au balcon de l'étage, les corniches à console à l'orientale et les motifs du petit-bois des fenêtres du rez-de-chaussée et de l'étage évoquent tous des formes chinoises traditionnelles.

La ligne de toit peut aussi envoyer un message sans équivoque. La puissance militaire et l'invulnérabilité transpirent de la ligne de toit du manège miliaire Mewata (1917-1918), l'exemple le plus impressionnant de l'architecture militaire de Calgary. Ce vaste bâtiment de style gothique de l'époque Tudor rappelle une forteresse avec sa façade austère et ses tours crénelées. Construite en brique rouge rehaussée de pierre et de grès, sa façade crénelée suscite une impression de solidité et renforce son caractère imprenable. L'entrée centrale est une porte Mewata Armoury, DND 1983 / Manège militaire Mewata, MDN 1983basse pour les troupes, flanquée de tours crénelées à trois étages en avant-corps rappelant une forteresse. Le bâtiment présente des fenêtres étroites, des échauguettes et des petites tourelles pourvues de meurtrières. La forme du bâtiment est une indication claire de sa vocation.

Le mouvement moderniste du XXe siècle fait table rase des références historiques et des lignes de toit ornementales à la faveur des toits plats et des formes simples et épurées, ainsi qu'à certaines nouveautés pleines d'expression et de symbolisme. On remarque notamment la ligne de toit « hybride » de la Cour suprême du Canada (1938-1940). Conçu à l'origine avec un toit plat, son aspect extérieur présente maintenant deux éléments distincts : une masse en granit austère dans la tradition classique et un toit emprunté au style Château que l'architecte a ajouté à la demande du gouvernement, qui souhaitait maintenir le vocabulaire architectural établi par les édifices du Parlement situés tout près.

St-Louis-de-Gonzague Church, Bernard LeBlanc / Église Saint-Louis-de-Gozague, Bernard LeBlancLe Museum and H.R. MacMillan Space Centre (1967-1968) de Vancouver est coiffé d'un gracieux toit conique d'expression moderniste, peut-être influencée par Frank Lloyd Wright, qui témoigne de l'optimisme que suscite l'exploration spatiale dans les années 1960. Sur la côte Est, l'église Saint-Louis-de-Gonzague (1964-1965) et son clocher proposent à l'observateur une ligne de toit fort dynamique. Situé sur la rue Main à Richibucto, au Nouveau‑Brunswick, l'ensemble trace une ligne de toit composée de douze arches paraboliques aux fenêtres ornées de vitraux. Cette toiture aux formes ondulantes s'apparente à une coquille de pétoncle et peut rappeler les vagues qui déferlent sur l'Atlantique, tandis que le clocher peut symboliser un phare, comme une balise pour donner espoir aux âmes perdues.

Nos bâtiments historiques présentent des caractéristiques méconnues qui méritent d'être soulignées. Regardez-y de plus près et vous aurez d'agréables surprises. Au fil de vos promenades dans votre voisinage, levez les yeux et observez les lignes de toit des bâtiments - mais attention quand même de ne pas trébucher !

Sources :

Brosseau, Mathilde.  Le style néo-gothique dans l'architecture canadienne, série Lieux historiques canadiens : cahiers d'archéologie et d'histoire, 1980.

Clark, Nathalie.  Le style palladien dans l'architecture au Canada, 1984.

Cullen, Mary K.  Les couvertures en ardoises au Canada, 1990.

Kalman, Harold.  A concise history of Canadian architecture, 2000.

Maitland, Leslie  et coll.  A guide to Canadian architectural styles, 1992.

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