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Le Quai 21 et les épouses de guerre du Canada

Départs et arrivées RMS Aquitania, Canadian Museum at Pier 21 / Aquitania, musée canadien du Quai 21

Nous sommes le 8 mars 1945. La Deuxième Guerre mondiale fait rage depuis maintenant six ans, soit depuis 1939. Une femme de 29 ans et sa fille de 3 ans montent à bord du R.M.S. Aquitania en partance pour le port d'Halifax, en Nouvelle-Écosse. Parmi les passagers, on compte plusieurs centaines d'autres femmes et enfants qui ont quitté l'Angleterre afin de fuir les effets de la guerre.

Après un voyage de près d'une semaine sur les eaux glaciales de l'Atlantique Nord, les réfugiés déposent enfin le pied en sol canadien au Quai 21. L'itinéraire du voyage est gardé secret, mais les passagers savent bien que le Quai 21 représente le principal point d'entrée pour les immigrants et qu'il leur faudra patienter plusieurs heures avant de passer toutes les étapes devant les agents d'immigration du Canada. À tour de rôle, ils doivent présenter aux autorités un certificat de voyage en règle, sur lequel on apposera le timbre « immigrant admis ». Ces femmes et ces enfants courageux viennent de terminer la première étape d'un processus qui les aidera à définir leur nouvelle vie dans un pays inconnu.

Contexte géographique et historique

En quoi consiste exactement le Quai 21? Il s'agit d'un complexe de trois entrepôts de transit (les quais 20, 21 et 22) qui font partie du quai de débarquement des terminaux océaniques d'Halifax. Ces entrepôts de transit sont appelés « quais », mais ils ne se trouvent pas en bordure de l'eau comme les autres installations du port; ils sont plutôt situés en retrait, parallèles à la côte.

La construction de ces bâtiments débute en 1912‑1913, mais est suspendue à la suite de l'explosion d'Halifax en 1917. Les travaux reprennent en 1926 sur le Quai 21, un bâtiment de deux étages, ainsi que sur son annexe et sur les quais 20 et 22, terminés en 1928. Ces structures forment la principale installation où l'on accueille et oriente les immigrants au Canada. Des trains de passagers spéciaux partent directement de cet endroit, mais la gare ferroviaire située à proximité (construite vers 1928‑1930) sert aussi de zone d'attente pour les voyageurs. De façon générale, de 1928 à 1971, le Quai 21 représente la principale porte d'entrée des immigrants au Canada.

Pier 21, c1947, PANS no.2725 / Quai 21, c. 1947, PANS no.2725Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les installations sont transformées en important point de départ pour les troupes qui doivent s'embarquer pour le front européen. Le Quai 21 représente une zone de rassemblement militaire idéale pour plusieurs raisons : d'abord, l'endroit est situé à proximité d'une gare ferroviaire et de nombreuses installations militaires, dont un arsenal; ensuite, les ouvrages portuaires peuvent accueillir de grands navires servant au transport des troupes; enfin, Halifax est le port en eau profonde sécuritaire le plus près de l'Europe. En raison de ces facteurs, près de 500 000 membres des forces armées passeront par les installations du Quai 21. C'est également au Quai 21 que le gouvernement canadien concentre ses efforts pour faciliter l'arrivée en toute sécurité de près de 50 000 épouses de guerre et de leurs 22 000 enfants (statistiques des épouses de guerre, en anglais seulement).

De l'Angleterre au Canada : l'expérience d'une épouse de guerre

À l'automne 1940, en banlieue de Londres, Rose Marie Potter, citoyenne britannique née à Trinité, épouse un ingénieur des forces armées canadiennes nommé Alexander Ironside. À ce moment, elle ne se doute pas que 1 222 autres femmes britanniques auront épousé un soldat canadien au courant de l'année, résultat d'une tendance en croissance. Et comme la plupart des troupes canadiennes stationneront en Angleterre pendant trois ans avant d'entrer en service actif, de plus en plus de mariages de ce genre seront célébrés avant la fin de la guerre, en 1945 (statistiques de mariages, en anglais seulement).

En 1942, le gouvernement canadien décide d'offrir gratuitement la traversée au Canada aux personnes à la charge des membres des forces armées canadiennes et s'engage à aider les familles à se retrouver après la guerre. Chaque personne à charge est autorisée à se procurer un aller simple pour quitter l'Angleterre et s'établir au Canada. En 1944, le Canada déclare que toutes les personnes à la charge du personnel militaire recevra la citoyenneté canadienne et permet aux services de l'immigration du Canada d'établir les modalités d'accueil avec les familles canadiennes.

Pendant qu'une armée de soldats se trouve outre‑mer, une armée différente, composée d'agents d'immigration et de bénévoles, s'affaire à répondre aux besoins des épouses de guerre touchées par le conflit mondial. Nombreux sont les formulaires qui doivent être remplis, les examens médicaux qui doivent être suivis et les documents d'inscription et de voyage qui doivent être préparés. Lorsque les navires sont déchargés, on invite les épouses de guerre et leurs enfants à monter à bord, puis on leur remet les documents nécessaires et les billets de train qui les mèneront vers une destination au Canada où la famille de leur mari les attend. Les épouses de guerre sont placées sur une liste de priorité en fonction de la situation de leur mari, selon qu'il est un soldat « libéré » ou « normal » (c.‑à‑d. qui se trouve encore outre‑mer). 

Lorsque Rose Marie Ironside apprend à la fin de 1944 que son mari sera déployé Canadian travel certificate / certificat de voyageen Belgique, elle demande à immigrer au Canada. Au haut‑commissariat du Canada à Londres, le gouvernement canadien lui accorde un certificat de voyage le 21 décembre 1944. Ce document, semblable à un passeport, contient des renseignements de base relatifs à son voyage (voir images).

Pendant qu'elle attend des nouvelles de son départ, Rose reçoit du bureau des épouses canadiennes à Londres une brochure de 40 pages qui contient de l'information à l'intention des épouses de guerre sur divers sujets pratiques, tels que les procédures d'immigration, les démarches pour obtenir de l'aide sociale et les coutumes culturelles au Canada.

Le Bureau des Affaires étrangères de l'Angleterre valide le certificat de voyage de Rose les 29 et 30 décembre 1944. Un autre timbre indique qu'elle est autorisée à quitter le pays à n'importe quelle date avant le 29 mars 1945. Ce n'est que deux jours avant son départ que Rose est mise au courant des détails de son voyage. Le 6 mars, elle prend le train à Londres avec sa fille à destination de Greenock, en Écosse, où elles arrivent le lendemain après un voyage sans escale. Selon ce qu'indique un autre timbre apposé par les agents d'immigration britanniques, Rose s'embarque pour le Canada le 8 mars 1945 dans un port adjacent, sur le fleuve Clyde, en Écosse. Comme la plupart des plans officiels organisés pendant la guerre, le voyage est planifié en secret pour éviter qu'il soit connu des Allemands, dont les sous‑marins sillonnent l'Atlantique Nord à la recherche de bateaux de passagers non protégés. C'est pourquoi on s'empresse de faire taire la petite fille de Rose lorsqu'elle s'exclame un jour : « On s'en va au Cadada ! ».

À bord du R.M.S. Aquitania, les voyageurs sont réconfortés par des agents accompagnateurs de la Croix‑Rouge canadienne. Rose et sa fille font partie des 7 972 femmes et des 3 705 enfants qui immigreront au Canada en 1945. En 1946, ce nombre sera encore plus élevé : 31 000 femmes et enfants feront la traversée et, ensemble, ils représenteront 71 % de tous les immigrants arrivés au Canada cette année‑là !

Les installations du Quai 21 en mars 1945

À leur arrivée à Halifax, les épouses de guerre se rendent au Quai 21, puis à l'annexe de l'immigration. Située en face du Quai 21, de l'autre côté de la voie ferrée, l'annexe de l'immigration est un bâtiment d'un étage qui ressemble à une gare ferroviaire de taille moyenne et à laquelle on a accès par deux passerelles surélevées. L'annexe offre divers services d'immigration, de transport et d'aide sociale. Pendant qu'ils attendent d'être reçus par des agents d'immigration du Canada, les réfugiés attendent sur de longs bancs de bois.

D'autres mesures sont prises pour accélérer l'accueil des immigrants. Une équipe d'Halifax composée principalement de travailleurs de la Croix‑Rouge aide les épouses de guerre à trouver les trains spéciaux qui les mèneront vers les différentes régions du pays et communique avec les familles concernées pour s'assurer qu'elles seront là pour accueillir les nouvelles arrivantes.

Rose et sa fille attendent là une journée entière avant de monter à bord du train qui les mènera à Toronto. Dix‑sept heures plus tard, le 18 mars 1945, elles arrivent avec d'autres épouses de guerre à la gare Union de Toronto, où les attendent les membres de leur famille et les médias. Le mari de Rose la rejoint à Toronto en juin 1945; c'est à ce moment que commence vraiment la nouvelle vie au Canada de la famille enfin réunie.

Le Quai 21 aujourd'hui Pier 21, 2010, Jenny Rotten / Quai 21, 2010, Jenny Rotten

Aujourd'hui, le Quai 21 est un lieu historique national. Les immigrants n'empruntent peut‑être plus ses couloirs, mais des milliers de nouveaux visiteurs fréquentent maintenant l'endroit qui, depuis le 7 février 2011, accueille le Musée canadien de l'immigration du Quai 21. Avant la création du Musée, la Société du Quai 21 y dirigeait un centre de recherche dynamique depuis plus de 10 ans. Les historiens y réalisent des recherches nouvelles, apportent leur soutien dans le cadre des projets et des expositions historiques du Musée et répondent aux demandes de renseignements présentées par le public. Les sujets de recherche peuvent porter sur l'histoire du bâtiment, sur le récit des immigrants qui n'ont pas été admis, qui ont été détenus ou déportés, ou encore sur les récits des divers groupes ethnoculturels qui sont arrivés au Canada.

Le matériel de recherche du Musée, qui porte principalement sur l'histoire vivante, est composé d'une collection continuellement enrichie d'environ 700 histoires orales, de quelques milliers d'histoires écrites, de plusieurs milliers d'images d'archives, ainsi que d'une petite collection d'artéfacts. Les personnes qui s'intéressent aux histoires relatives à l'immigration sont invitées à consulter les « malles culturelles » en ligne sur l'expérience vécue par les immigrants arrivés des Pays‑Bas et de la Hongrie.

Le nouveau Musée du Quai 21, qui s'est donné comme mission de raconter l'histoire remarquable des immigrants arrivés au Canada au XXe siècle, est un lieu historique où une visite virtuelle ou en personne s'impose !

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