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La création des parcs nationaux du Canada

« Un simple brin de bruyère des montagnes » : La création des parcs nationaux du Canada

« Peut‑être ignorez‑vous que l'on trouve au Canada de nombreux parcs nationaux, et que ces parcs sont vôtres, de même que toute l'étendue de leur beauté et tout le plaisir qu'ils offrent, en vertu de votre héritage, parce que vous êtes Canadiens. Les parcs nationaux existent pour vous. Ils sont votre part de la beauté naturelle des montagnes, des lacs et des rivières. »

J.B. Harkin, Just a Sprig of Mountain Heather from the Canadian National Parks, 1914 Cover of "Just a Sprig of Mountain Heather," 1914 / Couverture de « Just a Sprig of Mountain Heather », 1914

Ainsi s'est exprimé J.B. Harkin dans la toute première brochure de promotion du tourisme produite par la Division des parcs du Dominion. En sa qualité de jeune commissaire enthousiasmé par tout le potentiel de ce qui deviendrait, un siècle plus tard, un réseau national protégé de parcs, de lieux historiques et d'aires marines nationales de conservation reconnu dans le monde entier, Harkin a affronté son premier défi : attirer des visiteurs et mieux faire connaître les efforts de conservation. Il y est parvenu en touchant les cœurs tendres de ce monde et en invitant les voyageurs à visiter les parcs nationaux avec un succès sans précédent. Voici l'histoire d'un fonctionnaire qui a contribué à forger l'identité du Canada, à partir des paysages et du passé du pays.

La loi régissant les parcs du Dominion

C'est le 19 mai 1911, il y a de cela un siècle, que le réseau des parcs nationaux du Canada a été officiellement créé en vertu de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux. Il est vrai qu'avant cette date, en 1885, des terres protégées avaient été mises en réserve dans les Rocheuses, mais elles étaient administrées suivant des règlements qui ne permettaient pas de protéger leur patrimoine naturel et culturel. Seule une nouvelle loi du Parlement pouvait permettre de vraiment protéger ces lieux exceptionnels.

Au début du XXe siècle, l'émergence d'un mouvement de conservation et l'augmentation du tourisme au Canada ont poussé le gouvernement fédéral à agir. En 1908, ce dernier a décidé de centraliser l'administration des parcs et de les placer sous la responsabilité de la Direction des forêts du ministère de l'Intérieur. Trois ans plus tard, des modifications législatives sont venues clarifier les règles fédérales en matière de gestion de l'environnement forestier et de tourisme dans les parcs existants des Rocheuses. En janvier 1911, une nouvelle législation a été déposée à la Chambre des communes. Elle a été adoptée en dernière lecture au mois d'avril et a obtenu la sanction royale le 19 mai.

La Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux définissait les parcs comme des aires désignées entourées de réserves forestières jouant le rôle de zones tampons. À l'époque, la définition des termes « parc » et « réserve » était bien différente de celle que l'on connaît aujourd'hui. Les parcs, qui sont pour nous des aires protégées, étaient alors des endroits propices à l'aménagement en harmonie avec la protection de zones de beauté naturelle, et les réserves, aujourd'hui considérées comme des endroits non développés, avaient un riche potentiel commercial. La superficie des parcs existants (des Glaciers, Yoho, Banff, Jasper, Lacs‑Waterton et Elk Island) s'est donc trouvée réduite en raison de la création de réserves forestières en vertu de cette nouvelle loi. Toutefois, l'établissement d'une distinction entre les réserves et les parcs a permis de surmonter certaines difficultés. En outre, la Loi exigeait la nomination d'un commissaire qui assurerait la saine intendance de ces endroits hors du commun.

La nouvelle division des parcs

James B. Harkin, LAC / James B. Harkin, BACEn septembre 1911, les bureaux de la Division des parcs du Dominion ouvrent leurs portes à l'Édifice Birks, sur la rue Sparks, au centre‑ville d'Ottawa. La jeune organisation compte alors sept employés, dispose d'un budget de 200 000 de dollars et ne bénéficie que de très peu d'orientation quant à l'administration ou à la mise en valeur des parcs nationaux. Elle est dirigée par James B. Harkin, qui occupe les fonctions de commissaire. Dans les années 1890, Harkin était un journaliste réputé. En 1901, il est nommé à un poste au ministère de l'Intérieur. En raison de ses opinions fortes et progressistes concernant la préservation de l'environnement, il est le candidat tout désigné pour le nouveau poste à la Division des parcs.

Les talents de communicateur de Harkin donnent bientôt à la Division des parcs un rôle plus précis. Harkin convainc le gouvernement fédéral de la nécessité de faire bénéficier les parcs nationaux d'une meilleure protection. Les modifications apportées à la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux en 1913 donnent au commissionnaire des parcs la responsabilité complète des parcs nationaux; de nouveaux parcs ne faisant pas partie de réserves forestières peuvent désormais être créés, et les parcs nationaux existants peuvent être agrandis.

La définition d'aires protégées

Harkin doit maintenant encourager les Canadiens à visiter et à apprécier leurs parcs. Pendant la Première Guerre mondiale, il voyage, prononce des discours, rédige des articles et, avec l'aide de son personnel, produit des rapports annuels inspirants et bien illustrés. Harkin envisage la création d'un réseau de parcs Waterton Lakes, 1926 / Lacs-Waterton, 1926nationaux composé de « parcs panoramiques », de « parcs d'animaux » et de « parcs historiques », voués à la préservation du caractère pittoresque, d'espaces pour la faune et la flore, et d'évènements et d'endroits d'importance historique, respectivement.

Au fil du temps, plus précisément entre 1914 et 1930, treize nouveaux parcs nationaux voués à la protection du panorama et des espèces sauvages sont créés. Harkin contribue aussi à la protection d'endroits historiques, dont le fort Howe, en 1914, le fort Anne, en 1917, et le fort Prince‑de‑Galles, en 1922. En 1919, le gouvernement fédéral fonde la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. Bien que son engagement à l'égard de l'importance de la protection des endroits exceptionnels du Canada se fasse sentir dans ses écrits, Harkin demeure préoccupé par la valeur commerciale des parcs nationaux, et plus particulièrement par leur potentiel touristique.

La poétisation des parcs sous la plume de Mabel Williams

En 1920, les parcs nationaux enregistrent 100 000 entrées, mais aux yeux de Harkin, ce n'est pas suffisant. L'homme souhaite améliorer la promotion des parcs. Pour ce faire, il choisit de produire des guides de voyage soulignant les merveilles des parcs et lieux historiques. Il envoie son exceptionnelle secrétaire Mabel Williams visiter les parcs nationaux et écrire à leur sujet. Through the Heart of the Rockies and Selkirks: Canada's National Parks (1921) est la première publication qui en résulte. Son succès amène Williams à visiter davantage de parcs nationaux des montagnes et à publier d'autres guides dans les années 1920. Les livres comptent entre 40 et 175 pages, sont tous gratuits et portent des titres imaginatifs : The Banff-Windermere Highway, Waterton Lakes National Park, Kootenay National Park and the Banff-Windermere Highway, Jasper National Park, Prince Albert National Park, Jasper Trails, et The Kicking Horse Trail.Mabel Williams, c. 1898, LAC / Mabel Williams, c. 1898, BAC

Ces guides sont bien plus qu'une publicité efficace; ils évoquent tout le charme de la nature sauvage canadienne. Le style romantique de Williams lance un appel aux lecteurs, dont l'identité nationale commune s'enracine de plus en plus dans les forêts et les lacs de la nature canadienne. L'auteure vante la beauté des grands espaces sauvages qu'offrent les parcs nationaux. Elle commence chaque chapitre avec une citation d'un auteur célèbre, Walt Whitman, John Ruskin et Pauline Johnson étant  quelques favoris. Elle fait ensuite le lien avec la beauté des paysages des parcs et leur caractère inspirant.

Les récits de peuples de Premières nations ajoutent une touche d'intemporalité à l'histoire culturelle des parcs. Williams se plaît souvent à mentionner que certains endroits étaient soi‑disant évités des Premières nations, ce qui donne aux lecteurs l'illusion qu'ils peuvent visiter des parcs déserts, intacts et préservés. En revanche, Williams promeut aussi les balades en voiture à l'intérieur des parcs.

L'attrait romanesque est on ne peut plus évident dans le guide Waterton Lakes National Park, publié en 1926. Williams écrit que le dieu grec Pan pourrait trouver le réconfort dans le parc, loin d'une « civilisation étourdie par la radio et le jazz ». Elle présente le parc comme un endroit où les gens de la ville peuvent se revigorer.

La beauté et la paix semblent en avoir fait leur domaine, et à ses portes, les sept malheureux démons de nos vies modernes - peur, inquiétude, précipitation, surmenage, indigestion, agitation et ennui profond - replient leurs ailes noires et retournent en silence vers la demeure que l'homme a créée pour eux, dans ce qu'on appelle la civilisation.

Williams parle aussi d'expériences mémorables, qualité importante que recherche la Division des parcs pour ses visiteurs.

Les guides sur les parcs nationaux sont plus que de simples ouvrages; ce sont des livres de voyage bien conçus à l'intention des aventuriers sérieux. Leur qualité les rend précieux. D'ailleurs, bon nombre de visiteurs des parcs conservent et collectionnent ces ouvrages à la couverture en cuir, aux lettres d'or, et à la conception claire, remplis de photographies spectaculaires représentant des paysages, des espèces sauvages, des voyageurs à cheval et des automobiles sur des routes sinueuses. Ce sont de pratiques guides de poche qui offrent aux voyageurs divers renseignements, comme le coût d'un séjour dans les gîtes des parcs, l'emplacement de la prochaine station d'essence ou l'emplacement du téléphone le plus proche. Chaque guide contient une carte pliante facile à lire où sont identifiés, le long des principales routes du parc, les sentiers, les lotissements urbains et les terrains de camping.

Évidemment, les guides remportent un vif succès. Le taux de fréquentation, qui était de 100 000 en 1921, grimpe à 250 000 en 1925 puis à 550 000 en 1928. La Division des parcs prend quant à elle de l'expansion. Williams est promue gestionnaire et devient responsable de 25 employés. À une ère où on ne peut compter ni sur la télévision ni sur Internet, le service de publicité de la division, en pleine croissance, fait la promotion des parcs nationaux par le biais de conférences publiques, de diaporamas, de la radio et de productions cinématographiques, en plus de rééditer ses guides.

Les fruits du rêve de Harkin

Le travail acharné de Harkin, de Williams et d'autres membres de la Division des parcs pendant les vingt premières années d'existence de l'organisation mène finalement à la création d'un texte législatif historique, la Loi sur les parcs nationaux du Canada, adopté par le Parlement en 1930. Cette loi renforce la résolution du Canada de protéger son patrimoine naturel et culturel. Elle clarifie le rôle de la Division des parcs, lui donne davantage d'autorité dans la mise en réserve et l'administration de terres aux fins de la création de lieux historiques nationaux, et confirme que ces endroits sont « pour les gens » et de portée « nationale » et « canadienne ».The Rockies, 1921 / Les montagnes rocheuses, 1921

Peut‑être les mots d'un guide sont‑ils ce qu'il y a de mieux pour décrire le rêve de Harkin :

longue vie au rêveur... du rêve de quelques hommes ambitieux sont nés les parcs nationaux... Est‑il insensé de croire [que les parcs] sont des routes qui amèneront les gens à rétablir un contact sain et complet avec la nature, à porter un amour sans borne ni mesure à ce pays et à jouir, enfin, d'une vie riche et heureuse?

Un siècle plus tard, ces lignes reflètent toujours les valeurs de Parcs Canada et les expériences uniques que vivent les visiteurs de nos parcs nationaux. Aujourd'hui, plus que jamais auparavant, les parcs nationaux, les lieux historiques nationaux et les aires marines de conservation du Canada sont de véritables refuges, des sanctuaires qui nous permettent d'échapper au tumulte de la vie urbaine. Ils continuent de nous définir en tant que Canadiens et de nous faire rêver à de nouvelles expériences en lien avec nos terres, notre histoire commune et nos cours d'eau.

Documents de référence

Ressources imprimées

Hart, E.J.  J. B. Harkin : Father of Canada's National Parks, Edmonton, University of Alberta Press, 2010.

Lothian, W.F. Histoire des parcs nationaux du Canada, [Ottawa], Parcs Canada, 1977-1983, 4 v.

Lothian, W.F. Petite histoire des parcs nationaux du Canada, [Ottawa], Environnement Canada, Parcs, 1987.

MacEachern, Alan. « M.B. Williams and the Early Years of Parks Canada » In Claire Elizabeth Campbell (éd.), A Century of Parks Canada 1911-2011, Calgary, University of Calgary Press, 2011.

Sandlos, John. « Nature's Playgrounds: The Parks Branch and Tourism Promotion in the National Parks, 1911-1929 » In Claire Elizabeth Campbell (éd.), A Century of Parks Canada 1911-2011, Calgary, University of Calgary Press, 2011.

Taylor, C.J. Negotiating the Past: The Making of Canada's National Historic Parks and Sites, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1990.

Ressources principales supplémentaires (disponibles à Patrimoine canadien, Centre du savoir, Services de bibliothèque, 15, rue Eddy - 2e étage, Gatineau, Québec)

Williams, M.B.  Jasper National Park, Ottawa, ministère de l'Intérieur, 1928.

Williams, M.B.  Jasper Trails, Ottawa, ministère de l'Intérieur, 1930.

Williams, M.B. Kootenay National Park & the Banff Windermere Highway, Ottawa, ministère de l'Intérieur, 1930.

Williams, M.B. A sprig of mountain heather : being a story of the heather and some facts about the mountain playgrounds of the Dominion, Ottawa, ministère de l'Intérieur, 1914.

Williams, M.B. Through the heart of the Rockies and Selkirks, Ottawa, ministère de l'Intérieur, 1921.

Williams, M.B. Waterton Lakes National Park, Alberta, Canada, Ottawa, Division des parcs du Dominion, 1926.

Ressources archivistiques (Bibliothèque et Archives Canada)

M.B. Williams

James Bernard Harkin :

  1. Mémoire et notes http://collectionscanada.gc.ca/pam_archives/index.php?fuseaction=genitem.displayItem&lang=fre&rec_nbr=117179&rec_nbr_list=117179,117178
  2. Correspondance http://collectionscanada.gc.ca/pam_archives/index.php?fuseaction=genitem.displayItem&lang=fre&rec_nbr=117178&rec_nbr_list=117179,117178

Service canadien des parcs

Commission des lieux et monuments historiques du Canada

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