Les Victoriens
Mme Martha Hayward couvre ses épaules d'un châle
léger et quitte son domicile, situé sur la rue Vancouver, pour se
rendre au centre‑ville de Victoria. À l'aube du XIXe
siècle, la ville, capitale de la Colombie‑Britannique
depuis 1871, est devenue une métropole moderne et animée. La
reine Victoria, souveraine en l'honneur de qui la capitale a
été nommée, célébrera bientôt son anniversaire. Monarque
britannique au pouvoir depuis 1837, la reine aura 80 ans, un
jalon que Mme Hayward estime important de célébrer! En
tant qu'épouse d'un entrepreneur prospère ayant de grandes
aspirations politiques, Mme Hayward a l'habitude de se
trouver en compagnie de membres influents de la haute société de
Victoria.
Mme Hayward doit se procurer certains articles en vue
de la soirée qu'elle organise en l'honneur de Sa Majesté. En
marchant dans la rue, elle se rappelle les
fastueuses soirées que donnait
Mme Mary Elizabeth Gray, une mondaine en vue
mariée à Andrew Gray, un industriel important. En 1890, ces
derniers ont fait construire Roslyn, une
demeure magnifiquement ornée qui surplombe la voie navigable Gorge,
un merveilleux terrain de jeu pour les gens fortunés de Victoria.
La résidence fait la fierté de tout le quartier. Même
Mme Hayward doit admettre qu'elle envie secrètement
cette maison à la silhouette et aux surfaces singulières de par ses
tourelles surmontées d'un toit conique, sa toiture irrégulière, ses
balcons et vérandas, ainsi que son revêtement extérieur en bardeaux
texturés.
Les soirées somptueuses sont un passe‑temps auquel
Mme Hayward aime bien s'adonner. Étant donné qu'elle est
mariée à un homme issu d'une famille riche, des domestiques sont à
son service et Mme Hayward a peu de tâches ménagères à
accomplir. Ces soirées contrastent fortement avec les années
passées à l'Académie
St. Ann's, où Mme Hayward a fait ses études
qu'elle a entreprises peu de temps après que la première partie de
l'édifice monumental a été terminé en 1871. À l'époque, l'Académie
St. Ann's constituait le plus grand édifice de la province.
Mme Hayward se souvient avec une certaine affection de
ses anciennes
enseignantes des Sœurs de Sainte‑Anne
qui provenaient de la région de Montréal, ainsi que de leur léger
accent canadien‑français et de leurs règles strictes. Ce qu'elle
aimait le plus de cette école établie selon les mêmes principes que
les couvents du Québec était la façon dont elle se démarquait des
édifices avoisinants inspirés de l'architecture anglaise.
La vie était plus simple à l'époque, se dit‑elle songeuse.
Maintenant, le monde évolue tellement rapidement. La marche du
modernisme semble irrépressible et transforme tous les aspects de
la vie. L'électricité commence à remplacer les techniques
traditionnelles d'éclairage, comme le gaz. Les usines fabriquent
des
biens ménagers en série, et le
téléphone a révolutionné les communications. Les nouvelles
technologies changent le quotidien. Mme Hayward monte à
bord du tramway électrique pour continuer sa promenade au
centre‑ville, pendant que l'électricité vrombit dans les câbles
aériens, un rappel constant de la vie moderne. Mme
Hayward ignore d'où provenait l'énergie. Or, il n'y a rien de
mystérieux à cela. L'énergie est produite par la
centrale électrique de la National Electric Tramway and Light
Company, un solide bâtiment industriel en briques situé dans la
zone portuaire supérieure de la ville. Cette nouvelle technologie
de transport, utilisée pour la première fois à Victoria en 1890, a
soudainement changé la façon dont Mme
Martha Hayward se déplace dans la ville. Les distances sont
réduites, et il lui faut moins de temps pour atteindre les
destinations voulues. « Quel progrès! »,
pense‑t‑elle.
Une fois débarquée du tramway, Mme Hayward continue à
pied dans les rues
bondées, où circulent des buggys tirés
par des chevaux et des carrosses motorisés. « Lorsqu'on marche
en ville, c'est chacun pour soi! », se dit‑elle. Nombre de ses
connaissances estiment que ces rues animées sont le signe des
progrès réalisés par une nation jeune - une perspective optimiste
pour un nouveau siècle. Cette nouvelle attitude se reflète dans le
magnifique
hôtel de ville de Victoria, construit dans le style Second
Empire par John Teague, un architecte connu de la région. Le
mari de Mme Hayward y passe le plus clair de son temps
dans le but de faire avancer sa carrière politique. Tout comme son
mari, Mme Hayward est fière de cet édifice majestueux.
Mais ce qu'elle préfère, c'est entendre l'horloge sonner!
Mme Hayward arrive enfin à sa destination, à
quelques pâtés de maison de l'hôtel de
ville : le nouvel édifice
Weiler, là où se trouve Weiler Brothers Home Furnishing. Ce
commerce est le premier grand magasin de Victoria, et ce nouveau
luxe plaît énormément à Mme Hayward, qui apprécie plus
particulièrement la façon dont les articles ménagers sont placés et
organisés : « une façon rationnelle de concevoir le
monde » songe‑t‑elle. En tant que maîtresse de maison,
Mme Hayward est toujours au courant des articles de
décoration intérieure dernier cri, et aucune nouvelle tendance ne
lui échappe! Après avoir trouvé les articles dont elle a besoin et
les avoir payés, elle retourne chez elle. « Que nous réserve
l'avenir dans cette ville en pleine expansion, débordante
d'optimisme? » se demande‑t‑elle.
L'époque victorienne a été une période de grands changements au
Canada. Pourquoi ne pas utiliser le Répertoire canadien pour
découvrir des lieux patrimoniaux fascinants de l'époque victorienne
près de chez vous. Après tout, chaque lieu patrimonial raconte une
histoire!