Un corridor culturel qui franchit trois cols en Colombie-Britannique
Dès le moment où mes yeux se sont posés sur la large surface
brillante de la traverse de tête et du chasse‑pierres, d'où
flottait un petit drapeau de couleur vive, accroché à un poteau en
laiton lustré, j'ai décidé que ce serait à cet endroit, et nulle
part ailleurs, que je
parcourrais les six cents milles
qu'il me restait à franchir dans mon voyage !
Voici ce qu'a écrit lady Agnes MacDonald dans son journal
intime pour décrire les moments passés sur le chasse‑pierres, à
l'avant d'une locomotive du chemin de fer du Canadien Pacifique
(CFCP), de Lake Louise jusqu'à Vancouver. En
juillet 1886, lady Agnes, épouse de
sir John A. MacDonald, a voyagé à bord d'un train
spécial qui traversait le Canada pour célébrer l'achèvement de la
ligne de chemin de fer transcontinentale. Elle a été enchantée par
le paysage montagneux qui s'offrait à elle depuis les cols Kicking
Horse, Rogers et Eagle. Elle a même convaincu son mari, le premier
ministre, de la rejoindre sur le chasse‑pierres pour qu'il lui
tienne compagnie sur une distance d'environ 45 kilomètres.
Elle a décrit ce voyage des années plus tard dans son livre
intitulé By Car and by Cowcatcher.
Le dernier crampon de la ligne de chemin de fer
transcontinentale a été posé à Craigellachie à la fin de 1885; la
Colombie‑Britannique était enfin reliée au reste du Dominion. Le
premier train à traverser le Canada - le Pacific Express - n'a pas
quitté Montréal avant le 28 juin 1886, un jour à
marquer avec une pierre blanche, selon le CFCP. Après
avoir franchi les montagnes accidentées des Rocheuses, des Selkirks
et des Monashees le jour de la fête du Canada, il est arrivé à Port
Moody, en Colombie‑Britannique, le 4 juillet 1886
. N'étant pas disponible
ce jour‑là pour effectuer ce voyage inaugural, le premier ministre,
sir John A. MacDonald, a toutefois pris un autre
train à la mi‑juillet, en compagnie de lady Agnes et d'un
entourage composé de nombreux dignitaires.
La construction de la voie ferrée dans les montagnes constituait
un défi énorme. Au col Kicking Horse, le CFCP a eu de la
difficulté à franchir la « ligne de partage des eaux »,
soit le point le plus élevé de la ligne de chemin de fer. À cet
endroit, la voie ferrée dévale une pente raide, d'une inclinaison
de 4 %, menant du lac Wapta au pied du mont Stephen.
Puis elle suit la vallée de la rivière Kicking Horse. Aux
premières loges, sur le chasse‑pierres, lady Agnes écrit ce
qui suit :
Je ne pouvais m'empêcher d'admirer les glaciers encaissés
entre les montagnes, à 5 000 pieds au‑dessus de nos
têtes; la trace laissée par des avalanches de neige ayant dégagé un
espace d'une centaine de pieds où étaient amoncelés des arbres
morts arrachés; les ombres qui se dessinaient sur les pics
lointains; et les milliers d'arcs-en-ciel créés par la rivière
écumeuse et fougueuse qui descendait la gorge en tourbillonnant à
une vitesse folle pour rejoindre la Columbia, dans la vallée en
contrebas. Ici, tout brille d'une beauté et d'un éclat glorieux, et
je ris tout haut sur le chasse‑pierres, tant le paysage est
merveilleux !
Peu de temps après le voyage en train de lady Agnes dans la
région, la ville de Field et le parc national Yoho ont été créés.
Dans la ville de Field se trouvent une gare de
train historique, la résidence du directeur du parc et divers
chalets (cabane alpine Stanley Mitchell, pavillon Wiwaxy, refuge
Elizabeth Parker) construits par le CFCP, dont le salon de
thé des Chutes‑Twin.
Le calme apaisant de la large vallée de la rivière Columbia
contraste avec les émotions intenses que suscite la traversée des
montagnes. Lady Agnes décrit l'endroit comme étant « très
charmant » et un « petit paradis tranquille ». C'est
là que se trouve la ville de Golden. Le premier navire à vapeur -
le Duchess - a été mis à l'eau près de cette ville le
8 mai 1886. Puis, pendant plus de trente ans, des
navires à vapeur ont effectué chaque semaine, pendant les mois
d'été, le trajet de 160 kilomètres vers le sud, sur la
Columbia, jusqu'au district minier de East Kootenay.
En 1911, la ville de Golden est devenue le siège des activités
de guides suisses de renommée internationale; le
« Village suisse » est situé à un peu moins de
2 kilomètres à l'ouest de la ville. 
Le CFCP avait un autre défi à relever : faire passer la
voie ferrée par les Selkirks. En 1881, l'ingénieur en
chemin de fer, A. B. Rogers, a découvert un col dans les
montagnes, connu aujourd'hui sous le nom de col Rogers. S'en sont suivies quatre années de
travaux ardus, pendant lesquelles les ouvriers ont dû surmonter
d'importants obstacles, comme un col s'élevant à
1 524 mètres (5 000 pieds) au‑dessus du niveau
de la mer, d'importantes chutes de neige et avalanches, et de
nombreux ruisseaux et rivières. Certains ponts étaient considérés
comme les plus élevés au monde à l'époque. Lady Agnes décrit
le travail accompli par ces hommes de la façon suivante :
Il n'y a peut‑être aucune autre partie de la voie ferrée
plus extraordinaire et qui témoigne autant de l'audace des
compétences techniques à l'œuvre que ce col, où la plateforme
traverse des ponts sur chevalets d'une hauteur impressionnante en
décrivant des courbes, tout en poursuivant sa descente rapide. Sur
les six milles réellement parcourus, le train n'a avancé que de
deux milles et demi, tant les lacets à passer sont nombreux
avant d'atteindre le fond du canyon.
Le CFCP a construit plus tard, au plus haut point du col, un
hôtel appelé Glacier House, où les touristes pouvaient faire halte
pour prendre un repas ou passer la nuit et où on pouvait arrêter
les machines à vapeur après les avoir mises à rude épreuve dans les
montées abruptes. Plus tard, le tunnel Connaught, situé à un
kilomètre et demi sous terre, a été construit pour permettre aux
trains d'éviter les endroits où la pente est la plus raide et où
surviennent les pires avalanches. Une nouvelle gare ferroviaire a également été construite
pour remplacer l'hôtel Glacier House.
Le refuge Arthur O. Wheeler et le refuge alpin du glacier Circle, qui ont été
construits près du col Rogers, ont attiré des guides de montagne
suisses et des scientifiques dans la région. Les Vaux, une des
premières familles à s'y établir, ont commencé à étudier la faune
et la flore de la région à partir de 1887. C'est là que les
premières études sur les avalanches et la neige ont été réalisées,
et des activités de surveillance des avalanches y sont menées
presque en permanence depuis la découverte du col
Rogers.
Depuis le début des années 1960 et l'ouverture de la
Transcanadienne, à la suite de la construction de la première voie
ferrée, le col Rogers est le centre des activités de prévention des
avalanches au Canada. De plus, un partenariat continu entre les
Forces canadiennes et Parcs Canada permet de prévenir les
risques d'avalanche et de garantir la sûreté des routes.
La distance qui sépare Golden de
Revelstoke est courte, soit un peu plus de 100 kilomètres,
mais un paysage à couper le souffle se déploie sous les yeux des
visiteurs, à chaque courbe, et certains d'entre eux pourraient
pousser un soupir de soulagement à leur arrivée à Revelstoke ! Bien
que lady Agnes n'ait rien écrit au sujet des attractions
uniques de Revelstoke, cette ville n'en est pas moins un lieu
historique intéressant à visiter. L'explorateur David Thompson
a traversé la région en 1811, alors qu'il se rendait jusqu'au
Pacifique. Plus tard, pendant la ruée vers l'or des
années 1860, des navires à vapeur à roues à aubes ont navigué
sur la rivière. De 1885 à 1899, deux villes distinctes se sont
formées à la suite d'un litige foncier entre l'arpenteur
A. S. Farwell et le CFCP : l'une nommée Farwell,
située près de la rivière Columbia, et l'autre appelée Revelstoke
Station, située près de la gare de CFCP. Une fois ce litige réglé,
Revelstoke est redevenu une seule ville le
1er mars 1899. La ville a ensuite connu une
période de croissance jusqu'en 1913. En 1914, des
résidants de la ville ont exercé des pressions pour que le parc
national du Mont‑Revelstoke soit créé afin de protéger les
montagnes de la région.
Aujourd'hui, les administrations centrales de deux parcs des
montagnes de Parcs Canada (des Glaciers et Mont‑Revelstoke)
sont situées à Revelstoke. La ville compte de nombreuses propriétés
patrimoniales protégées, et la plupart d'entre elles sont situées
dans un secteur de Revelstoke voué à la conservation du patrimoine,
soit la Revelstoke Station Heritage Conservation Area.
Parmi les propriétés patrimoniales qui valent la peine d'être
visitées, mentionnons la McCarty House (maison du premier maire de la
ville); la Birch Lodge (propriété ayant appartenu à un
influent homme d'affaires de la région, Robert Howson, arrivé dans
la ville en 1889); la Court House (un édifice connu pour son style
néo‑classique). Consultez
le répertoire du patrimoine de la région pour
découvrir d'autres propriétés à valeur patrimoniale. Pour en
apprendre davantage sur l'histoire de la région, vous pouvez vous
rendre au Revelstoke Museum and Archives et au Revelstoke Railway
Museum, visiter la ville durant les célébrations des Railway Days,
qui auront lieu du 11 au 14 août 2011, ou découvrir la
route panoramique qui parcourt depuis cent ans la région du parc
national du Mont‑Revelstoke pendant les « Célébrations au
sommet ».
La CFCP a prolongé la voie ferrée vers Kamloops, à l'ouest de
Revelstoke. Franchissant le col Eagle, la voie ferrée traverse la
ville de Craigellachie. Bien qu'elle ait pu admirer la beauté de
l'endroit, lady Agnes n'a jamais mentionné que c'est à cet
endroit que le dernier crampon a été posé et que la ligne de chemin
de fer transcontinentale prend fin. Sur une photographie
symbolique, figeant ce moment dans le temps, Donald Smith pose
le crampon en novembre 1885. Aujourd'hui, cet événement d'importance historique nationale
est commémoré par un cairn.
Le voyage de lady Agnes et de
sir John A. MacDonald a joué un rôle important dans
l'avenir de la protection du paysage. Peu de temps après son retour
à Ottawa, le premier ministre a créé les parcs nationaux Yoho et
des Glaciers, le 10 octobre 1886, et c'est ainsi que les
deuxième et troisième parcs du Canada sont nés. Aujourd'hui, des
milieux sauvages essentiels sont protégés. Grâce à la désignation
de nombreux lieux historiques nationaux et d'autres lieux
patrimoniaux provinciaux, les principaux éléments patrimoniaux
culturels, et plus particulièrement le patrimoine scientifique,
technique et architectural, sont protégés. Ce corridor culturel qui
franchit « trois cols » s'étend sur
300 kilomètres. Les visiteurs peuvent encore le parcourir dans
toute sa longueur et découvrir les nombreuses facettes de
l'histoire de ses montagnes. Ce paysage éveille notre conscience
nationale et nous faire vivre des émotions aussi fortes que celles
éprouvées par lady Agnes il y a 125 ans.