Le style néo-Queen Anne
Qu'est-ce que le style néo-Queen Anne? Il s'agit d'un style
architectural qui a très peu à voir avec Anne Stuart, la souveraine
du royaume de Grande-Bretagne, ou avec le style de bâtiments
construits durant son règne, de 1702 to 1714. Le style néo-Queen
Anne, qui date de la fin de l'époque victorienne, a surtout été
populaire entre 1890 et 1914. Le style, que l'on désigne parfois
comme le style « Renaissance libre », intègre des
éléments empruntés à différentes époques, notamment des façades
asymétriques, des lignes de toit irrégulières et très inclinées,
des pignons en façade, des corniches en saillie, des tours rondes
ou carrées en coin coiffées de tourelles, des fenêtres aux formes
inhabituelles, des vérandas enveloppantes, des montants élaborés,
des bardeaux en écailles de poisson, des textures détaillées et des
couleurs éclatantes.
Son caractère fantaisiste en a toujours fait un style difficile
à définir. D'ailleurs, on le désigne parfois comme un style
exubérant et excessif, sophistiqué et flamboyant. Bien qu'il soit
passé de mode au début du XXe siècle, le style
semble aujourd'hui avoir regagné en popularité, sans doute en
raison de son caractère accessible et évocateur de la période
victorienne, qui est peu à peu devenue partie intégrante de la
conscience collective.
Bon nombre de bâtiments de style
néo-Queen Anne ont été désignés lieux historiques nationaux.
Mentionnons notamment le lieu historique national de l'Édifice‑Central, important point
d'intérêt de la ville d'Ottawa, qui est un excellent exemple
d'architecture commerciale de style néo‑Queen Anne. Cet édifice de
six étages a été conçu selon les plans de
J. J. Browne, architecte d'Ottawa, pour abriter des
locaux commerciaux et des bureaux.
L'Édifice Central fait partie de l'arrondissement
historique de la Place de la Confédération, au centre‑ville
d'Ottawa. La diversité de ses matériaux comme la brique rouge, la
terre-cuite, les garnitures blanches et le métal participent à la
richesse des couleurs du bâtiment. Celles‑ci attirent l'attention
sur les surfaces et les textures qui sont des caractéristiques
importantes du style néo-Queen Anne. L'édifice comporte également
des fenêtres de tailles différentes; celles du rez-de-chaussée sont
très grandes, ce qui permet une plus grande visibilité de la
marchandise et un meilleur éclairage des espaces de bureau. Bien
qu'il existe d'autres édifices commerciaux de style néo-Queen Anne
au Canada, celui-ci se distingue par sa grande qualité
architecturale.
Le lieu historique national de la Résidence-H.-Vincent-Meredith est un
exemple particulièrement remarquable de résidence de style
néo‑Queen Anne au Canada. Située dans le quartier appelé le
« Mille carré doré » (« Golden Square Mile »),
cette résidence de deux étages et demi a été construite en 1897
pour Andrew Allen, associé de la très influente Allan Steamship
Company. Son toit à quatre versants très incliné percé de lucarnes
et de hautes souches de cheminées, sa ligne de toit élevée et de
forme irrégulière, sa composition asymétrique, la combinaison de
serliennes et de fenêtres en lancette, et sa tour ronde au toit
conique en font un exemple d'architecture exceptionnel. Cette
construction massive située à flanc de colline, endroit bien en
vue, a été conçue comme symbole frappant de l'optimisme, de la
richesse et du pouvoir qui caractérisaient la fin du
XIXe siècle.
Parmi les autres constructions
résidentielles de style néo‑Queen Anne les plus remarquables,
notons celle de Charles Richards, à Yarmouth, en
Nouvelle-Écosse. Il s'agit d'un exemple particulièrement important
puisqu'il s'agit d'une des deux seules résidences de style
néo‑Queen Anne construites en brique en Nouvelle-Écosse. Située
dans le district de conservation du patrimoine de Collins, la
résidence de deux étages et demi est caractérisée par sa magnifique
brique rouge, sa façade asymétrique munie d'une véranda
enveloppante, sa fenêtre en baie de deux étages, et son toit très
incliné. Soulignons également les boiseries et les supports
décoratifs des montants des vérandas ainsi que les jeux de
maçonnerie originaux sous la corniche.
Sur la côte Ouest, et plus particulièrement à Vernon, en
Colombie-Britannique, la maison Campbell est un exemple de
construction s'éloignant légèrement du style plus traditionnel de
constructions néo‑Queen Anne au Canada. Influencé par
l'interprétation américaine du style, l'architecte a muni la maison
de bardeaux en écailles de poisson, d'un parement à mi‑bois et de
fenêtres en baie. De plus, la charpente est en bois et non en
brique. Malgré cela, il s'agit bel et bien d'un exemple classique
de maison néo‑Queen Anne, avec des éléments tels qu'une tour en
coin coiffée d'une tourelle, des fenêtres à guillotine double et
des gâbles décoratifs, des pignons imposants et de grandes
vérandas. Construite en 1898, cette maison d'allure fantaisiste a
longtemps appartenu à la famille Campbell, qui possédait un magasin
de meubles et une entreprise de pompes funèbres à Vernon. Il s'agit
du genre de maison que l'on pourrait facilement associer de nos
jours au style victorien lugubre popularisé par le film
Psycho d'Alfred Hitchcock, paru en 1960.
Bien qu'on l'observe principalement
dans les quartiers résidentiels, le style néo‑Queen Anne ne se
limite pas à l'architecture résidentielle. L'école Earl Grey, construction de
trois étages située au centre-ville de Winnipeg, est un excellent
exemple de structure institutionnelle de style néo‑Queen Anne. Au
lieu d'utiliser la brique rouge traditionnelle, l'architecte James
B. Mitchell a choisi une brique de couleur saumon. Les lucarnes de
tailles variées et les deux tours carrées de quatre niveaux en
saillie contribuent à l'asymétrie intéressante de sa façade. La
tablette portant l'inscription officielle de l'école, « The
Earl Grey School », est munie de médaillons floraux, éléments
caractéristiques de l'ornementation de style néo‑Queen Anne.
Les bâtiments de style néo‑Queen Anne représentent un part
importante du patrimoine architectural du Canada. Comme nous avons
pu l'observer, le style néo‑Queen Anne s'est grandement transformé
au cours des années, passant d'un style sobre et classique à un
style qui met à l'honneur des éléments plus naturels et
décontractés comme des motifs de soleils et de fleurs, des couleurs
éclatantes ou des briques de couleur très riche destinées à faire
ressortir les détails des éléments ornementaux et les textures. Le
style se caractérise par son exubérance, la diversité de ses formes
et l'asymétrie de ses compositions.
Bien qu'il soit passé de mode en 1914, il est intéressant de
constater que les bâtiments les plus originaux ont subsisté et que
le style est aujourd'hui revenu à la mode, au point où certaines
maisons construites dans des secteurs en développement arborent
certaines composantes caractéristiques du style néo‑Queen Anne. Le
Répertoire canadien des lieux patrimoniaux compte une centaine de
bâtiments de style néo‑Queen Anne qui, en tant que ressources
patrimoniales du Canada, contribuent à refléter l'épanouissement et
l'optimisme qui régnaient au pays à la fin du XIXe
siècle et au début du XXe siècle.