Les auteurs canadiens et les lieux qui les ont inspirés
D'où vient votre inspiration? Bien des auteurs canadiens
auraient pu répondre à cette question en mentionnant les endroits
importants à leurs yeux. Ces écrivains sont aujourd'hui gravés dans
la mémoire collective tout comme le sont les lieux qu'ils ont
immortalisés dans leurs œuvres. Leurs maisons sont devenues les
témoins de leur inspiration créatrice et les lieux de pèlerinage
des lecteurs qui souhaitent en savoir davantage sur la source de
cette inspiration. Le paysage littéraire du pays est mis en valeur
dans nombre de lieux désignés dans le Répertoire canadien des lieux
patrimoniaux ayant un lien avec les écrivains membres de la
Canadian Authors Association à ses premières heures.
En 1921, à Montréal, des auteurs soucieux de promouvoir et de
protéger leurs œuvres fondent la Canadian Authors
Association. Parmi ceux-ci se trouve Stephen Leacock
(1869-1944). De 1915 à 1925, Leacock est un des plus grands
écrivains humoristes de l'anglophonie mondiale; il écrit son
chef-d'œuvre Sunshine Sketches of a Little Town (1912)
[traduit en français sous le titre Un été à Mariposa :
croquis en
clin d'œil (1986)] près d'Orillia,
en Ontario, sur les berges du lac Couchiching. Leacock avait acheté
la propriété riveraine en 1908 pour y construire un petit chalet,
avant d'y ériger un bâtiment beaucoup plus vaste en 1928. C'est à
cet endroit, qu'il nomme « The Old Brewery Bay », que Leacock écrit
et qu'il s'adonne au jardinage, à l'agriculture d'agrément, à la
pêche, à la navigation et à d'autres divertissements. Ce paysage de
forêts et de clairières avec vues imprenables sur le lac offre une
oasis de quiétude propice à la contemplation artistique chère à
tout écrivain.
Contemporain de Leacock, Bliss Carman (1861-1929) est un poète
de renommée internationale au tournant du siècle dernier, notamment
en raison de ses évocations des paysages du Canada atlantique. Né à
Fredericton, au Nouveau-Brunswick, Carman vit les années de son
enfance dans une maison de la rue Shore, connue aujourd'hui comme
étant la Maison Bliss Carman. C'est cet endroit qui lui
inspire bon nombre de ses plus grandes œuvres, dont Songs from
Vagabondia (1894) et Low Tide on Grand Pré: A Book of
Lyrics (1893). Au cours des années 1920, Carman est reconnu
officieusement comme le « poète lauréat du Canada » par
la Canadian Authors Association, il est élu à la Société
royale et reçoit la Médaille Lorne Pierce pour sa distinguée
contribution à la littérature.
Aussi contemporaine de Leacock, Lucy Maud Montgomery (1874-1942)
dépeint dans ses livres la vie que l'on mène à
l'Île-du-Prince-Édouard; son œuvre est appréciée partout dans le
monde (même la duchesse de Cambridge, Kate Middleton, en est une
admiratrice!) et bien des gens savent que la Maison aux pignons verts est à la fois
l'inspiration et le théâtre de son roman le plus connu, Anne of
Green Gables [Anne… la maison aux pignons verts]
(1908). Mais il est moins connu que deux autres maisons
patrimoniales sont aussi associées à cette auteure prolifique.
L'une d'elles est une modeste résidence construite en 1874 dans la
petite localité de New London, à l'Î.-P.-É., maintenant connue
comme le lieu de naissance de Lucy Maud Montgomery;
l'autre est le Presbytère de Leaskdale à Uxbridge, en Ontario.
C'est dans cette austère maison de la classe moyenne de style
victorien tardif que Lucy Maud Montgomery vit la période la plus
productive et reconnue de sa carrière : entre 1911 et 1926,
elle y écrit onze de ses vingt-deux romans. C'est aussi le théâtre
de sa vie personnelle malheureuse dont elle dévoile les détails
dans le journal personnel qu'elle tient à cette époque.
Nellie McClung (1873-1951) est aussi membre de la Canadian
Authors Association. Bien connue comme militante politique,
Nellie McClung a joué un rôle important dans le mouvement des
suffragettes qui a mené au droit de vote pour les femmes, ainsi
qu'au sein des Célèbres cinq dans l'affaire « personne »
qui a provoqué un changement historique au chapitre des droits des
femmes au Canada. Mais Nellie McClung a aussi connu une belle
carrière d'écrivaine. Née à Chatsworth, en Ontario, elle quitte
cette province en 1911 pour s'installer au Manitoba avec son mari,
d'abord à Manitou, et plus tard à Winnipeg, où elle est active non
seulement sur la scène politique locale, mais aussi comme auteure
populaire. Son premier roman, Sowing the Seeds in Danny
(1908) est un grand succès national et ouvre la voie à la
publication de quinze autres livres (pour un total de neuf romans
et sept ouvrages généraux). En 1914, elle déménage à Edmonton; elle
est élue à l'Assemblée législative de l'Alberta en 1921 et, en
1923, elle s'installe à Calgary dans une maison de style néo-Tudor. Elle connaît
ses plus grandes réussites politiques et
sociales alors qu'elle vit dans cette maison (de 1923 à 1935), et
c'est là qu'elle écrit la plupart de ses romans, essais et articles
de journaux.
Au moment de la création de la Canadian Authors
Association, la carrière d'écrivain du révérend Charles Gordon
de Winnipeg a déjà connu son apogée. Pendant près de vingt ans, cet
auteur a écrit sous le nom de plume de Ralph Connor, et ses romans,
dont The Man From Glengarry (1901) et The Sky Pilot in
No Man's Land (1919), qui combinent mélodrame et aventure
palpitante, portent aussi le message de salut et d'espoir que lui
inspire sa croyance religieuse. En 1913, alors qu'il est au faîte
de sa carrière, il construit une grande maison dans un quartier isolé de
Winnipeg. La propriété, qui surplombe la rivière Assiniboine, est
agrémentée d'un parterre gazonné, de plantations d'arbrisseaux, de
massifs de fleurs et d'arbres, et l'intérieur de la maison se
distingue par ses merveilleux plafonds aux poutres apparentes, son
riche lambris de chêne en placage sur quartier, ses boiseries
foncées et ses nombreux ornements sculptés. C'est là que Gordon a
écrit certains de ses romans et qu'il recevait ses amis. Au cours
des années 1930, il a servi pendant deux mandats à titre de
président de la Canadian Authors Association.
Même s'ils ont besoin d'un foyer stable
et tranquille, les écrivains sont généralement des personnes à
l'esprit agité, et Mazo de la Roche (1879-1961) est très
certainement une digne représentante de cet état d'être. Déjà dans
son enfance elle vit dix-sept déménagements, et pendant sa carrière
active d'auteure (au cours de laquelle elle publie vingt-trois
romans, cinquante nouvelles et treize pièces de théâtre) elle
effectue dix-neuf voyages en mer dans différentes parties du monde;
elle vit dans plusieurs localités de l'Ontario (dont Newmarket,
Aurora, Richmond Hill, Galt, Acton, Bronte, Clarkson, Oakville,
York Mills, Forest Hill et Toronto), au Québec, en Nouvelle-Écosse
et en Nouvelle-Angleterre, ainsi que dans dix‑neuf résidences
différentes en Angleterre! Cette quête d'un foyer semble être au
cœur de sa série de romans dont l'action de déroule sur un domaine
fictif situé en Ontario qu'elle appelle Les Jalna. Elle
écrit le premier tome de la série au milieu des années 1920 alors
qu'elle vit dans un chalet à Clarkson (localité qui fait maintenant
partie de Mississauga) en Ontario, tout près d'une maison appelée
Benares. Cette maison de ferme du milieu du
XIXe siècle est, du moins en partie, la source
d'inspiration à l'origine de son œuvre romanesque intitulée
Jalna Estate. 
L'artiste Emily Carr (1871-1945) est aussi un esprit agité qui
voyage beaucoup en Europe et sur la côte de la Colombie-Britannique
à la recherche d'inspiration et d'un endroit où s'établir. À la
fois peintre et écrivaine, Emily Carr est très inspirée par la
maison de son enfance à Victoria, en C.-B. Construite par son père
en 1864 dans un style d'influence italienne pittoresque, la Maison Emily Carr est à l'origine du désir de
l'artiste de créer et de son goût pour les arts. La proximité du
parc Beacon Hill et de la côte océane a beaucoup contribué à
l'appréciation d'Emily Carr pour son environnement naturel. La
maison occupe une place centrale dans son œuvre romanesque et elle
en fait une description particulièrement vivante dans The Book
of Small (1942) [traduit en français sous le titre
Petite : récit (1984)].
Trop jeune pour faire partie du groupe des écrivains fondateurs
de la Canadian Authors Association, Gabrielle Roy
(1909-1983) mérite néanmoins d'être mentionnée ici pour l'ensemble
de son œuvre originale en langue française. Son premier roman,
Bonheur d'occasion (1945), est un succès en librairie et
du jour au lendemain elle devient une étoile de la littérature en
remportant le Prix du
Gouverneur général grâce à cet ouvrage. Ce premier
roman, tout comme l'histoire sombre d'Alexandre Chenevert
(1954), dépeint avec un réalisme psychologique émouvant la vie à
Montréal pendant et après la guerre. Gabrielle Roy est aussi connue
pour sa chronique nostalgique de la vie au début du XXe
siècle dans le quartier français de Saint-Boniface à Winnipeg
(La Petite poule d'eau, 1950). À partir de 1950, elle vit
au Château St-Louis dans la ville de Québec. La maison de son
enfance à Saint-Boniface est maintenant un lieu historique national.
Ces auteurs - et bien d'autres - ont porté la littérature
canadienne sur la scène mondiale en s'inspirant des lieux et des
paysages qui définissent notre identité nationale. Ce sont ces
mêmes endroits qui aujourd'hui continuent de nous inspirer dans la
transmission de notre histoire.