Nouvelle vocation, nouvelle vie : la réhabilitation de lieux patrimoniaux de Toronto
Comme les villes continuent de se développer, nombreux sont les
défenseurs de l'environnement qui se tournent vers la
réhabilitation de nos lieux patrimoniaux pour réduire l'étalement
urbain et promouvoir le développement responsable sur le plan de
l'environnement. La réhabilitation, c'est‑à‑dire l'adaptation
avisée d'un lieu patrimonial à une utilisation contemporaine, qu'il
s'agisse de poursuivre la même vocation ou de lui donner une
nouvelle vocation compatible, permet de mieux garantir l'existence
à long terme d'un lieu patrimonial et de limiter la détérioration
causée par l'activité humaine et l'environnement.
Toutefois, les nouvelles vocations doivent être choisies
soigneusement pour assurer une protection continue des valeurs d'un
lieu patrimonial donné, notamment de son importance esthétique,
historique, scientifique, sociale et spirituelle, pour les
générations d'autrefois, d'aujourd'hui et de demain. Pour préserver
la valeur patrimoniale d'un lieu, il faut en conserver les éléments
caractéristiques, dans lesquels est représentée cette valeur. La
valeur patrimoniale et les éléments caractéristiques d'un lieu
patrimonial sont décrits dans un énoncé des valeurs qu'on appelle
« énoncé d'importance », que le public peut consulter à
partir du site Web du Répertoire canadien des lieux patrimoniaux.
Lorsqu'elle est réalisée de manière à protéger adéquatement les
éléments caractéristiques, la réhabilitation permet de conserver la
valeur patrimoniale et d'insuffler une nouvelle vie à un lieu
patrimonial. Trois projets de réhabilitation dans des lieux de
Toronto mettent en lumière les avantages de cette approche.
Le Lieu historique national du Canada de la Rotonde-de-la-Rue-John est le meilleur exemple
de rotonde parmi celles qui existent encore au Canada. Conçu par
l'ingénieur en chef J.M.R Fairbairn, du service d'ingénierie du
Chemin de fer Canadien Pacifique, le bâtiment est construit
entre 1929 et 1931 par la firme montréalaise
Anglin-Norcross Limited. Dans la rotonde et
ses 32 stalles, on effectue pendant plusieurs années
l'inspection, l'entretien, le nettoyage et la réparation des
locomotives à vapeur. Le bâtiment maintient ses activités pour le
Canadien Pacifique, puis pour VIA Rail Canada, mais l'utilisation
de la rotonde connaît un déclin lors de l'arrivée du moteur diésel.
Le Canadien Pacifique fait don de la rotonde à la Ville de Toronto
en 1986.
Par la suite, la plaque tournante est enlevée et les
compartiments un à onze sont démontés. Pour assurer la conservation
du bâtiment, la rotonde est convertie en brasserie, musée et
commerce de détail. Les compartiments un à onze sont reconstruits
entre 1994 et 1997 et, en 1999, ils sont loués par
la brasserie Steam Whistle, un arrêt incontournable pour les
touristes. Trois compartiments au milieu du bâtiment sont réservés
au centre du patrimoine ferroviaire de Toronto et servent
aujourd'hui de musée sur l'histoire des chemins de fer au Canada.
Le secteur situé à l'est du bâtiment est un parc municipal dans
lequel un chemin de fer miniature a été aménagé pour les enfants.
En 2009, un magasin de meubles Léon ouvre ses portes dans le
compartiment restant de la rotonde. Des partenariats avec le
secteur privé permettront de créer un espace éducatif destiné au
public et d'utiliser à nouveau un bâtiment qui était autrefois
délabré.
L'édifice Wesley situé au 299, rue
Queen Ouest, est construit en 1913 par la firme
d'architectes de Toronto Burke, Horwood and White pour accueillir
les bureaux administratifs, les presses et les salles des livres de
la Methodist Book and Publishing Company. La majeure partie des
éléments caractéristiques du bâtiment tiennent à son style
néogothique distinctif, notamment son saisissant revêtement en
terre cuite blanche émaillée et les détails décoratifs extérieurs.
Lorsque l'église méthodiste est intégrée à l'Église Unie du Canada,
l'édifice Wesley lui sert de siège national, et ce,
jusqu'en 1959.
Allen Waters acquiert la propriété en 1985 avec l'intention
d'en faire le bureau principal d'une entreprise médiatique, CHUM
Limited. Les architectes de la firme Quadrangle Architects doivent
alors trouver un équilibre entre les exigences strictes des
éléments mécaniques, électriques et acoustiques et les mesures de
conservation visant à préserver les éléments caractéristiques et la
valeur patrimoniale du bâtiment. Pour ce faire, ils restaurent
méticuleusement la façade et rénovent le rez-de-chaussée en y
ajoutant des cloisons coulissantes en verre, puis aménagent
l'intérieur pour faire place à l'espace de télédiffusion, aux
bureaux et aux aires communes. CTV achète CHUM Limited
en 2007, et c'est dans l'édifice Wesley qu'elle produit
maintenant « eTalk », son émission portant sur
l'actualité dans le domaine du divertissement. La capacité du
bâtiment à répondre adéquatement aux besoins de son nouveau
propriétaire est un gage de durabilité pour le lieu patrimonial.
Depuis la réhabilitation, en partie grâce à sa visibilité
télévisuelle nationale, l'appréciation de l'édifice Wesley comme
point d'intérêt du centre‑ville ne fait qu'augmenter.
Le lieu historique national du Canada de la Distillerie‑Gooderham and Worts est un grand
complexe de trente bâtiments industriels en brique et en pierre,
construits entre 1859 et 1927, pour la production,
l'emballage, l'entreposage, la mise en marché et le développement
des spiritueux de la firme Gooderham and Worts. En 1877, la
distillerie devient la plus importante dans le monde. Le lieu, qui
compte 13 acres de terres dans l'est du centre-ville de
Toronto, est désigné lieu historique national en 1988.
À la fin de 2001, Cityscape Development Corp. et Wallace
Studios achètent la propriété et commencent une importante
restauration visant à revitaliser le quartier. Les deux sociétés
engagent des centaines d'ouvriers spécialisés dans le travail du
bois, de la pierre et de la brique du XIXe siècle pour
conserver et réutiliser autant de matériaux d'origine que possible.
Anciens et nouveaux matériaux sont mélangés et combinés à des
technologies vertes pour conserver l'aspect de la propriété tout en
la rendant viable pour de nouveaux utilisateurs. Le nouveau
quartier est inauguré en 2003 et a l'allure d'un village
piétonnier pittoresque qui comprend plus d'une centaine de
commerces. Dorénavant un quartier branché, l'endroit compte des
théâtres, des galeries, des boutiques, des restaurants, des studios
d'artistes et des ateliers. Le bâtiment le plus ancien du lieu, la
distillerie Stone, construite entre 1859 et 1860, a une
nouvelle vocation et accueille désormais des galeries, des
commerces, un restaurant et un espace où sont présentés des
événements. La vie communautaire du quartier est très dynamique; on
peut notamment y visiter des expositions extérieures, des marchés
et des foires, en plus de participer à des activités spéciales tout
au long de l'année. La revitalisation de ce quartier a permis de
créer non seulement un nouveau milieu de vie attrayant, mais
également une communauté vibrante, tout en continuant de respecter
la valeur patrimoniale du lieu, qui témoigne de l'évolution de
l'industrie de la distillation au Canada.
La réhabilitation relie l'architecture d'antan aux besoins
d'aujourd'hui. La fréquentation de lieux patrimoniaux dans la vie
de tous les jours permet de sensibiliser la population à
l'importance de ces endroits dans la définition de notre paysage
urbain. Grâce à la réhabilitation, nos lieux patrimoniaux
commémorent notre passé tout en nous projetant dans le futur.